mercredi 24 août 2011

Tunisie - Partie 2


Pierre est l’un de ces libanais qui a brillamment réussi dans les affaires, d’un tempérament affable et décontracté, mais qui, néanmoins, possède cette prestance d’homme important habitué à côtoyer les puissants qui a quelque chose d’intimidant. Il nous conduit vers une salle de réunion au centre de laquelle se trouve une énorme table entourée de chaises confortables. Il se dirige à son extrémité, y dépose un élégant attaché-case, l’ouvre et en sort tout un tas d’affaires qu’il dispose méticuleusement, puis se sert un verre d’eau, avant de se retourner vers nous : 
« Bonjour Messieurs !
—Pierre, je te présente l’équipe de tournage, dit Jean-Claude sans nous laisser le temps de répondre.
—Oui, très bien… »
Sven se précipite pour lui serrer la main, alors que je marmonne un « enchanté ». Jean-Claude, bien décidé à ne pas perdre l’occasion de monopoliser la parole, reprend :
« Donc, ce sont eux qui ont réalisé le petit film sur la Côte-d’Ivoire que je t’ai montré. On va reprendre le même principe pour notre film de campagne.
—Oui, très bien, très bien…
—On avait pensé qu’il serait intéressant de filmer les gens un peu partout dans le pays, de se balader, d’aller chez eux et de recueillir leurs témoignages et…
—Oui, c’est ce qu’on avait dit. » coupe le libanais.

Alors que nous sommes tous rivés à ses lèvres, surveillant le moindre de ses gestes, un grand type baraqué d’une trentaine d’années vient s’assoir discrètement près de lui. En l’apercevant, son regard s’éclaire soudainement et lui arrache un sourire : « Ahmed ! Comment vas-tu ? » en lui serrant une virile et bruyante poignée de main. Et s’adressant à Sven et moi :
« Ahmed a travaillé sur notre première campagne, ils ont produit des petits films et les affiches que vous avez peut être vues un peu partout dans la rue. » Échanges de poignées de mains et politesses de convenance. « Il va travailler avec vous sur ce projet, il va s’occuper de vous trouver les gens dont vous avez besoin pour lire les verbatims. » Pierre marque une courte pause pour farfouiller dans ses papiers, Jipé en profite pour reprendre la parole :
« Justement, il faut qu’on parle des verbatims, ça serait bien qu’on détermine ensemble les profils sociologiques et les lieux qu’il serait intéressant de filmer…
—Oui, les verbatims, on a la liste des verbatims ? » demande Jean-Claude qui, après une série de petites blagues bien senties, cherche à paraître à nouveau sérieux.



Sven lui tend alors la feuille imprimée la veille sur laquelle figurent les verbatims. Avant d’aller plus loin, je me permets une courte parenthèse, parce que vous, lecteurs, êtes sûrement perdus, et moi aussi. Le petit film pour lequel nous avons été retenu se compose d’un ensemble de petits plans très courts, largement inspiré d’un clip que Sven et un ami avaient réalisé quelques mois auparavant en Côte-d’Ivoire. Dans ce petit film, des personnes sensées représenter leur pays dans sa diversité économique et sociologique –médecins, avocats, agriculteurs, chefs d’entreprises, mineurs ou pêcheurs–  prennent la parole pour déclamer une série de petites phrases convenues, politiquement correctes et souvent mièvres de bonnes intentions qui n’engagent personne, improprement qualifiées ici de verbatims, telles que la démocratie c’est bien, il faut plus d’égalité, plus de justice et moins de corruption. On imagine mal les voir dire le contraire. Les petits plans seraient ensuite entrecoupés de paysages caractéristiques de toute la Tunisie, affublés du logo du parti et de leur slogan, qui comme 90% des slogans de campagne doit sûrement contenir les mots ensemble et maintenant.

Pierre se plonge quelques instants dans la liste des verbatims sans aucun doute rédigée l’avant-veille à la hâte, par je ne sais quel conseiller en « com’ » qui s’est contenté de développer vaguement les points du programme électoral, et les lit à voix basse tout en laissant, de temps à autre, échapper des petits acquiescements de satisfaction. Tout le monde dans la salle de réunion observe un silence respectueux, ponctué de brefs chuchotements inquiets. Puis, comme lui-même rassuré de l’avancement du  projet, son visage s’illumine d’un sourire plus large encore et saisissant son briquet pour rallumer son cigare, il s’exclame : « Bon, il y a encore des choses à changer, mais c’est un bon début ! »

Le soulagement est palpable, les discussions reprennent sur un ton plus détendu, mais il faut maintenant régler les détails et le financement, la logistique et la technique. On s’inquiète alors du temps qu’il nous reste, de la dead-line, de la situation politique dans les pays voisins et de notre sécurité dans un brouhaha de questions pleines de bonnes intentions sans réelles réponses. Après une dizaine de minutes, il est alors convenu que l’on partira en petite équipe avec un chauffeur, le fameux Ahmed et éventuellement un régisseur capable de prendre en charge la logistique, et assurer notre sécurité dans les régions un peu « chaudes ». Une petite équipe est la solution idéale pour être le plus mobile et le plus discret possible.

Le téléphone de Jipé retentit alors, il s’éclipse poliment pour y répondre dans le couloir. Ahmed sort de sa réserve et nous demande si disposons de tout le matériel dont nous avons besoin, et si nous aurions besoin d’aide. Sven, peut-être un peu parano mais non sans raison, ne voulant pas voir le projet lui échapper de manière insidieuse au profit de personnes qui voudraient y avoir leur mot à dire, lui explique gentiment qu’il n’aura besoin de rien, ni de personne d’autre : Ahmed n’insiste pas mais nous explique qu’il faudra nécessairement passer par une maison de production qui s’occupera les procédures administratives, autorisations de filmer les gens, les monuments, qui, malgré les changements de régimes récents, n’en ont pas été pour le moins simplifiées. Revenu parmi nous, Jipé s’assoit et d’un air triomphant :
« C’est bon ! On a trouvé une baraque à louer pour bosser tranquillement !
– Ah enfin ! C’est que ça devenait gênant d’occuper les locaux du parti, trop de gens passent par ici, renchérit Jean-Claude.
– Des bruits commençaient à circuler ces derniers temps, c’est pas toujours très bien vu, les partis qui font appel aux étrangers pour leur campagnes…
– Enfin, nous, on s’en fout : du moment qu’on est payé ! » 



Pierre éclate d’un rire tonitruant, aussitôt imités par tous les autres, Sven et moi compris. Puis, redevenant immédiatement sérieux, il tapote son cigare sur le bord d’un cendrier, avant de le porter à nouveau à ses lèvres et d’en aspirer une longue bouffée. Et, très calmement, avec le sérieux et le professionnalisme rare de ces dirigeants qui savent s’impliquer personnellement dans un projet, et pas juste le déléguer en tout hâte à des subordonnés dont on peut douter de la compétence, il résume point par point la situation actuelle, sans omettre le moindre détail. « Je n’ai rien oublié, Messieurs ? » finit-il par conclure. Tout le monde se regarde l’air dubitatif dans un grommèlement indistinct de paroles inutiles et convenues avant de lâcher un dernier :
 « Euh, non, je ne crois pas, non, non ! »
– Alors tout le monde sait ce qu’il a à faire. » dit il en se levant, immédiatement suivi par tous les autres, pour qui se geste signifiait clairement la fin de notre entretien. L’ambiance se détend presque immédiatement, Jean-Claude s’enquérant bien vite auprès de Jipé d’un sujet pour le moins important : est-ce que leur nouveau QG disposerait d’une piscine ? Pierre se tourne alors vers nous, et dans un surprenant élan de franchise, il demande à la fois incrédule et admiratif :
« J’ai vraiment beaucoup aimé le petit sur la Côte-d’Ivoire ! Vous avez fait ça tout seul ?
– Oui, bien-sûr » réponds-je avec assurance à la place de Sven –alors occupé à discuter avec Ahmed des derniers préparatifs concernant la maison de production– comme si j’y avais moi-même participé au projet, alors que je n’ai jamais mis les pieds en Côte-d’Ivoire. Il reprend en riant, sûrement à moitié convaincu :
« Vraiment, je suis impressionné ! Ne me dites pas comment vous avez fait, je ne veux rien savoir !
– Ah, mais vous savez, les magiciens ne révèlent pas leurs trucs ! » conclus-je dans un grand sourire en lui tendant la main. Il éclate une nouvelle fois de rire en tapotant à nouveau sur son cigare sur le bord du cendrier. 


4 commentaires:

  1. "Bienviendu" sur la blogosphère.

    Je vais dépouiller attentivement mais je te donne déjà un conseil que tu es libre de suivre et davantage encore de ne pas suivre Quand tu fais un récit à épisodes, fais des extraits plus courts!

    Cordialement

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  2. claudette25/8/11 09:56

    Moi, j'aime bien les longueurs, même si quelquefois j'ai du mal à situer les personnages, mais je pense que tout cela va bientôt se mettre en place. Si toutefois quelques photos supplémentaires pouvaient se glisser au milieu des chapitres !!
    bisous

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  3. Ah mais je ne dis pas que le camarade écrit avec des longueurs! (ça, c'est mon défaut)
    Je lui suggère de nous tronçonner davantage la substantifique moelle de sa prose... pas de la condenser!

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  4. C'est que j'aimerais satisfaire chacun de mes lecteurs ! Je n'imaginais pas que les épisodes étaient si longs, mais j'ai tellement de choses à dire et à partager ^^

    Je pense que les billets seront plus courts les jours à venir, le tournage démarrant bientôt et le temps dont nous disposons risque d'être réduit à son minimum...

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