dimanche 28 août 2011

Tunisie - Partie 3


Dans la voiture qui nous ramène à l’hôtel, je trouve Sven étonnamment zen, sans doute rassuré que les choses se mettent en place avec autant d’efficacité. Nous échangeons quelques mots sur le contenu de la réunion et on s’accorde sur le fait que tous nos interlocuteurs ont l’air réglo, ce qui est loin d’être toujours le cas. Il m’explique qu’une réunion est convenue le lendemain avec Ahmed et la maison de production pour peaufiner les détails du tournage et rencontrer les gens qui nous aideront à mener à bien l’ensemble du projet.

L’après midi est déjà bien avancée, et notre chauffeur sûrement bien plus préoccupé par l’idée de rentrer chez lui que de nous amener vivants à l’hôtel, roule à toute allure sur de larges autoroutes si neuves et déjà bien vieilles, en lançant aux automobilistes lambineux qu’il dépasse d’incompréhensibles fatwas. De part et d’autre d’un fossé poussiéreux bordé d’herbe jaunie et de palmiers désarticulés, s’alignent des constructions hétéroclites, souvent à peine achevées, couronnées de fers d’armature tordus, ou recouverts à la hâte de murs de grosse brique creuse. Cachées derrière leurs grandes murailles, les maisons, même les plus modestes, affichent sur la rue l’élégance d’une grande porte cloutée et peinte maladroitement, et ses fenêtres s’ornent de volets ou de grilles ouvragées d’où pend le linge en train de sécher. Les grandes intersections s’animent de petits magasins qui vendent à une clientèle aisée mobilier et luminaires design, et de petites échoppes aux façades peintes qui proposent aux autres, sous un vieux parasol Coca-Cola, des glaces, des rafraîchissements, du pain ou des pâtisseries. Des gens attendent là, au milieu de la route, l’hypothétique passage d’un bus, ou achètent à des vendeurs ambulants des melons ou des pastèques dont regorge l’arrière de leur camion. Dans le ciel d’un bleu fatigué se dressent ça et là le minaret de quelque mosquée que seuls osent concurrencer les antennes-relais et les paraboles qui hérissent le toit des immeubles.

La voiture s’engage vers Raoued, sur une mince bande de sable entre la mer et un lac asséché où s’alignent de luxueux complexes hôteliers et des golfs. C’est derrière leurs murs que les hommes d’affaires de passage et les touristes débarqués par centaines depuis les bateaux de croisière low-cost peuvent jouir, loin de la populace, des seules choses qu’ils retiendront plus tard de la Tunisie : le soleil, les palmiers, la piscine, et peut être un peu la plage. Au détour d’un virage, notre hôtel apparait enfin, un gros bâtiment rosâtre entouré d’une luxuriante végétation.  Arrivés à sa hauteur, le garde de l’entrée, sans se presser, pousse d’un geste machinal la barrière d’entrée, et notre chauffeur s’engouffre à l’intérieur avant de nous déposer, quelques secondes plus tard sous l’impressionnant porche de l’hôtel. Un boy nous ouvre la portière à grand renforts de politesses et de courbettes et nous invite à pénétrer dans le hall de réception surclimatisé par des portes qui coulissent difficilement à notre approche.

Le hall de l’hôtel est un immense et désert volume flanqué de colonnes qui supportent un dôme en verre d’où partent, dans toutes les directions des couloirs et des escaliers. L’espace est garni de tapis, de fauteuils moelleux et de grandes vasques en fausse terre cuite d’où dégringolent des guirlandes de feuillages rachitiques. L’atmosphère d’un calme profond n’est perturbé que par les brèves sonneries des téléphones, les chuchotements des employés derrière les comptoirs de la réception et les claquements des pas sur le marbre des boys en livrée qui s’affairent à traîner des valises sur un chariot ou font les cent-pas en attendant d’être sollicités par un quelconque client.

Sven et moi nous engouffrons d’un pas rapide dans les couloirs interminables et déserts où il n’est pas rare de croiser d’avantage d’employés que de clients. Depuis plusieurs temps, l’hôtel tourne au ralenti, subissant le double effet de la crise touristique et celui du mois de Ramadan, et cela s’en ressent dans le peu de zèle et d’entrain dont font preuve les serveurs et les femmes de chambres. L’hôtel fait penser à un ogre énorme agonisant, ou peut être juste assoupi, que l’on maintient animé coûte-que-coûte en attendant patiemment le retour de la chair fraîche des touristes à nouveau enclins à déferler sur les plages. Parfois, lorsque la nuit est tombée et que l’on entend plus que le bruit du vent dans les arbres dehors, on se surprend à rejouer un remake de Shining dans les couloirs tapissés d’épaisse moquette rouge.

Nous arrivons à nos chambres respectives, d’agréables pièces crème, garnies de mobilier rose et de lourdes tentures jaunes. Les lits ont était faits, et dans un souffle rauque de soulagement, je m’affale dans l’un d’entre eux. Loin de l’abrutissante chaleur du dehors et bercé par le ronronnement du climatiseur, je finis par m’endormir au milieu de l’énorme pile de coussins de mon lit, sans le vouloir, fatigué par une intense journée passée à attendre. Un moment plus tard, Sven frappe à ma porte, et me réveille en sursaut.